Haut au-dessus de la ville, la lumière inondait les rues sales qui s'entortillaient autour des pavés de maisons, s'engouffrant dans les boyaux de Tokyo. Le soleil filtrait à travers les vitres affreusement colorées des bâtiments et son reflet était si intense qu'il forçait à plisser les yeux. Le beau temps avait dû attirer la foule dehors puisque celle-ci grouillait dans les grandes allées, s'amassant autour des boutiques comme dans un essaim d'abeilles. Profiter du plein soleil dans une grande avenue aurait pu être agréable, mais je n'étais pas là pour ça : les monstres sont dans l'ombre. Du moins, ils ne deviennent des monstres qu'une fois dans l'obscurité. Après tout, j'avais peut-être bien croisé une ou deux goules sur mon chemin sans même m'en être rendu compte.
Fuyant dans les ruelles plus reculées afin d'échapper à la masse étouffante de la population, je m'engouffrais dans une allée à l'allure de coupe-gorge, dont les murs à l'horrible teinte brunâtre témoignaient de son abandon. Je n'avais pas de réel intérêt à me trouver ici : mon enquête sur Doku n'avançait pas beaucoup, malgré mes nuits blanches à étudier le sujet, et tout ce cirque commençait sérieusement à me prendre la tête. J'étais en permanence séparé entre le désir de clore cette affaire une bonne fois pour toute et la volonté de conserver un rythme de vie sain.
C'était probablement pour cette raison qu'en attendant de découvrir de nouveaux éléments sur la goule du trafic d'organe, je m'étais quelque peu penché sur les goules recherchées ces derniers temps. Après tout, je ne pouvais pas me permettre de ne plus éliminer de goules juste à cause d'une seule qui semblait définitivement vouloir me glisser des doigts : il me fallait de nouvelles têtes à mon palmarès et ce de manière régulière si je voulais espérer être promu. C'était ainsi que je m'étais retrouvé au cœur du district 21, vagabondant dans l'espoir de tomber sur l'une des créatures recherchées actuellement par le CCG.
La nuit n'avait pas tardé à faire tomber son linceul d'obscurité sur la ville, pourtant les lumières criardes des magasins continuaient d'éclairer les grandes rues de Tokyo. Seules les endroits où les humains censés n'auraient jamais mis les pieds se retrouvaient alors plongés dans la pénombre, la clarté semblant être interdite dans ces lieux noirs de malice. Si cela représentait un excellent terrain de chasse pour une goule affamée, c'était également l'environnement idéal pour un investigateur désireux de faire couler le sang.
J'avais beau m'y être habitué, avoir de la compagnie dans ces moments-là aurait été appréciable. On se bat toujours mieux à deux et il est toujours plus rassurant de savoir qu'un coéquipier surveille ses arrières, nous permettant ainsi de se lancer plus sauvagement dans une attaque. Mais visiblement, personne n'avait vraiment envie de s'allier avec moi pour l'instant, et c'était fort dommage. Quoique, je n'étais pas certain d'être apte à supporter les jacassements d'un jeune inspecteur aliéné.
Ce furent de brusques sons métalliques qui attirèrent mon attention. J'interrompais immédiatement ma marche, cherchant à savoir d'où provenait les bruits. Des vitres qui se brisent. Des éclats de verres qui frissonnent sur le sol. Des poubelles qui roulent sur les dalles. Des câbles qui se cassent, arrachés de leur emplacement initial. A droite. Je raffermis ma prise sur ma valise et m'enfonçai brusquement dans l'une des artères, perçant la noirceur de mon allure agile : ma course est vive, haletante, et curieusement silencieuse.
Enfin, je débouchai sur un cul de sac qui s'élargissait sur les côtés, de manière à ne former qu'une grande cuve rectangulaire. Je manquai de me prendre des débris de bétons qui surgirent brusquement dans mon champ de vision, les évitant d'un pas en arrière. Devant moi, la scène était singulière : une goule furieuse se déchaînait sur une proie invisible, cherchant apparemment à retrouver sa cible au milieu de la pénombre. Un humain serait attaqué ? Si c'était le cas, il aurait pu réussir à s'enfuir en se glissant dans les crevasses qu'offrent les murs abîmés, mais rien ne me prouvait qu'il était encore en vie.
Toujours est-il que je profitais du fait que la goule ne m'ait pas remarqué pour dégainer Swallow d'un souple mouvement de poignet, la lame luisant sous la lune. A peine la créature eut-elle le temps de se retourner que je me jetais à sa rencontre, plongeant l'épée dans son dos, là où, en remontant, je pouvais toucher les organes vitaux. Un hoquet de surprise, le gargouillement du sang qui gicle et le soupir de la mort. En quelques secondes, ma proie était à terre, immobile. Rapide et efficace, comme j'aimais le faire.
Toutefois, je me questionnais sur ce qu'elle pouvait bien chercher ici. Une simple chasse était la solution la plus évidente, évidemment, mais mon esprit d'inspecteur me poussait à chercher plus loin. Je commençais par vérifier que la goule que je venais d'abattre était recherchée, mais son visage ne me revint pas. Dommage, j'avais espéré que l’exécuter m'aurait apporté quelque chose.